Stratégies en matière de crédit public : vive la volatilité!
Comme on le voit sur The Institutional Investor (en anglais) le 22 novembre 2024 | Image: Freepik
Warren Buffett a déjà dit que lui et feu Charlie Munger « préféraient obtenir 15 % dans la turbulence que 12 % en toute sérénité. »
Mais quel investisseur peut se comparer à Buffett? En fait, la plupart des investisseurs au détail sont très sensibles à la volatilité lorsqu’elle est supérieure à la moyenne; ils cherchent à l’éviter en investissant dans des fonds qui visent à atténuer les fluctuations à court terme. Au lieu de considérer la volatilité comme une occasion de produire de l’alpha, l’industrie de l’investissement traditionnel qualifie la volatilité, ou l’écart-type, de « risque ». Permettez-moi, à cet égard, de voir les choses autrement. J’avancerais que le dynamisme inhérent (un euphémisme élégant pour volatilité) aux titres de créance publics évalués à la valeur de marché comporte des avantages par rapport à ceux du marché privé tout en ayant le potentiel de faire meilleure figure.
Non seulement les investisseurs institutionnels ou très fortunés tolèrent les rendements « volatils », mais ils les acceptent et les considèrent comme une caractéristique normale (et non comme un bogue). Les deux stratégies — l’évaluation d’une position aux prix du modèle (titres de créance privés) et l’évaluation à la valeur du marché (titres de créance publics) — jouent un rôle de diversification essentiel sur les marchés alternatifs du crédit. Toutefois, à la différence des créances privées, investir dans la dette d’une entreprise cotée en bourse offre plusieurs avantages, surtout de nos jours, alors que les événements économiques, politiques, géopolitiques et législatifs créent de l’incertitude et font grimper la volatilité sur le marché. Par exemple, les risques géopolitiques, autrefois confinés dans des régions précises, touchent de nos jours simultanément une multitude de pays. Le mécontentement politique monte tant dans les pays développés qu’en voie de développement. Choisissez votre souci : l’endettement étatique exponentiel; les innovations technologiques telles que l’intelligence artificielle et les opinions contradictoires quant à ses bénéfices ou ses dangers; ou encore le changement rapide des conditions climatiques. Ces glissements presque tectoniques, qui arrivent apparemment tous ensemble, doivent plus que jamais être pris en compte dans toute stratégie d’investissement.
Quand le marché bouge, il bouge souvent à une telle rapidité et avec une telle amplitude que les investisseurs doivent réorganiser très vite leurs positions.
En matière de crédit, les écarts font office de prime offerte aux investisseurs pour pallier les risques associés à la faillite. Des écarts étroits traduisent l’aveuglement volontaire des investisseurs quant à la santé du bilan de l’entreprise, au rétrécissement des marges ou à la possibilité que le financement coûte plus cher. Actuellement, les écarts sur crédit sont minces et se trouvent dans le quartile supérieur des moyennes historiques. Les entreprises qui ont misé sur la faiblesse des coûts d’emprunt t à l’époque où les banques centrales pratiquaient l’assouplissement quantitatif pourraient, pour plusieurs d’entre elles, devoir refinancer leur dette à un taux plus élevé au cours des trois à cinq années à venir. Dans cette situation, qui tient quelque peu de la théorie du cygne noir, plusieurs tendances d’ores et déjà manifestes pourraient déclencher l’élargissement des écarts : du côté de l’immobilier commercial américain, les saisies augmentent de même que les taux de délinquance sur les cartes de crédit des consommateurs. De plus, les épargnes personnelles, qui s’étaient renflouées pendant la COVID, ne cessent de s’étioler depuis 2021.
À mon avis, la volatilité offre une belle occasion d’investir et de faire profiter son capital dans un horizon temporel adéquat pour, potentiellement, en obtenir un rendement supérieur à celui du crédit privé. L’évaluation à la valeur du marché est particulièrement bien faite pour exploiter les conditions dynamiques. En effet, elle permet de réagir plus rapidement aux fluctuations du marché que les stratégies privées, où la vitesse de réponse à de tels changements est souvent lente. Moyennant des valeurs potentiellement supérieures dues à la volatilité, les marchés secondaires du crédit public proposent aux investisseurs certains avantages : 1) transparence sur le plan du prix; 2) liquidités; 3) visibilité en matière de gouvernance et de performance; 4) potentiel de rendements intéressants par rapport aux actions, assortis de rendement à l’échéance favorable et de marges de sécurité robustes.
Tout cycle du marché propose des occasions attrayantes si on sait où regarder. Pourquoi devrait-on s’intéresser à la dette des petites et moyennes entreprises cotées en bourse? Je crois qu’on trouve dans cette arène un lot d’occasions alléchantes — en presque toutes saisons — pour nombre de raisons. La première étant la rareté du capital. Lorsqu’on évite les grosses pointures, on peut déployer les fonds d’investissement là où le capital est plus rare, parmi ces petites ou moyennes entreprises en situation de stress ou de détresse. Pour un investisseur, c’est un excellent point de départ. Le fait d’acheter ces titres à une fraction de leur valeur nominale apporte une marge de sécurité non négligeable et la possibilité d’obtenir un rendement substantiel quand les obligations se redressent. Les écarts touchant aux titres en situation de stress peuvent excéder 600 points de base et ceux des titres en situation de détresse surpasser 1 000 points de base.
Les grands requins du crédit ne peuvent pas nager avec le menu fretin, car ils ne peuvent pas prendre des positions imposantes sans déformer le marché. Par conséquent, investir dans des entreprises plus modestes attire moins la concurrence des autres bailleurs de fonds et assure la possibilité de s’engager dans une gestion de crédit proactive avec les entreprises potentielles. De telles occasions viennent normalement d’entreprises plus petites, dont la structure de capital est simple et qui ont un bon potentiel de rendement et de croissance. Par ailleurs, contrairement aux investisseurs en actions qui se trouvent à la toute fin de la chaîne alimentaire, les détenteurs de titres de créance ont des droits légaux sur les actifs et les liquidités de l’émetteur. Cela leur procure un avantage en cas de négociation : ils peuvent demander des conditions de restructuration plus avantageuses et, de ce fait, faire pencher la balance en faveur d’une issue favorable.
Qui plus est, parce que dans le secteur des petites et moyennes entreprises les écarts en matière de crédit obéissent davantage aux caractéristiques idiosyncrasiques des sociétés elles-mêmes qu’à celles du marché plus large, cette stratégie est bénéfique pour qui veut diversifier et gérer le risque. Elle peut générer des rendements bêta hors marché comparables à ceux des actions. Je crois qu’il y aura toujours, au cas par cas, des occasions intéressantes d’investir dans tout marché et dans tout cycle économique. Quand un secteur n’a plus la cote — actuellement, les soins de santé, les biotechnologies, les véhicules électriques et le cannabis — ou qu’une entreprise a du mal à trouver du refinancement, cela crée des occasions qui ne correspondent pas parfaitement au consensus d’un cycle du marché particulier. Toutefois, acheter de bonnes entreprises au bilan déplorable exige des recherches fondamentales approfondies. Quand on a une compréhension rigoureuse d’une entreprise ou d’un secteur, il est possible d’utiliser la volatilité à son avantage et de tirer profit des occasions bien avant tout le monde.
Il ne s’agit pas d’une stratégie où on peut faire un investissement et ne plus y penser. C’est une approche très différenciée, où il faut mettre la main à la pâte, suivre et analyser chaque titre de crédit régulièrement. En d’autres mots, chaque actif doit « se battre » pour obtenir une place dans le portefeuille, lequel fait l’objet d’un suivi régulier.
Les gestionnaires de portefeuille qui se spécialisent dans les entreprises en situation de stress ou de détresse devront nécessairement faire affaire avec une diversité de parties prenantes, telles que des avocats, des comptables, des agences de crédit, des gestionnaires d’entreprise, et j’en passe. Être agiles et capables de s’adapter parfois rapidement aux conditions changeantes du marché et aux multiples intervenants est une qualité primordiale pour nous.
Pour paraphraser Howard Marks, co-fondateur et vice-président d’Oaktree Capital Management, chef de file international en investissements alternatifs : « Si vous voulez obtenir un résultat supérieur, vous devez investir là où les autres ne se sont pas rués et là où la pleine valeur n’a pas été atteinte. Autrement dit, vous devez agir différemment. ».
Comme le monde, et les marchés des capitaux dans son sillage, devient de plus en plus volatil et imprévisible, il faut nécessairement investir davantage dans des actifs alternatifs afin d’être financièrement résilients. Parmi ces actifs, les titres de créance publics sont en mesure de livrer des rendements compétitifs par rapport aux créances privées, mais tout en offrant beaucoup plus de liquidité, de transparence (sur le plan des prix, de la performance et de la gouvernance) et aussi, certes, de volatilité. L’horizon temporel est aussi important, car la volatilité n’est avantageuse qu’à ceux qui sont prêts à vivre à fond l’expérience d’investisseur. Pour ces investisseurs capables de supporter quelques soubresauts, l’avenir s’annonce prometteur pour les stratégies d’évaluation à la valeur du marché qui pourraient produire des rendements inédits dans les prochaines années.
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