Action ou vérité? Pourquoi les prévisions économiques échouent-elles?

Janvier 18, 2023
Rédigé par Felix Narhi
Action ou vérité? Pourquoi les prévisions économiques échouent-elles?

« S’il y a quelque chose que l’expérience nous a appris, c’est que peu importe la quantité d’analyses statistiques complexes, elle ne peut rien contre cette réalité incontestable : tout peut arriver. » (traduction libre) 
Mervyn King, The End of Alchemy: Money, Banking, and the Future of the Global Economy 

Voici venu le temps de l’année où les experts claironnent leurs prédictions quant aux mois à venir. Mais méritent-ils autant d’attention? Comme les événements de 2022 nous l’ont rappelé, le monde est une grosse machine compliquée faite de mille rouages toujours en mouvement. Cela me fait penser à mon collègue, Geoff Castle, qui aime à dire : « Faire des prédictions, ça revient à écrire une parodie futuriste. »  

Qui s’attendait à la débâcle des titres technologiques? L’an passé, des entreprises aussi inattaquables qu’Amazon, Meta, Nvidia, Alphabet, et Apple ont encaissé un dur coup en perdant le tiers, voire plus, de leur valeur marchande, et l’indice technologique Nasdaq 100 a dégringolé d’environ 30 %, engloutissant près de 5,6 billions $ US. 

Qui avait vu venir l’inflation? Pendant des décennies, les banques centrales ont fait patte de velours, puis l’an passé, voilà que sans crier gare, le chaton s’est transformé en lion en rehaussant agressivement les taux dans le but de maîtriser l’inflation, malmenant ce faisant les consommateurs, le milieu des affaires et le prix des actifs.  

Est-ce que quelqu’un avait prévu que l’invasion de l’Ukraine par la Russie allait durer aussi longtemps et provoquer une telle crise humanitaire — en plus de perturber les bourses mondiales, les chaînes d’approvisionnement et d’entraîner des pénuries alimentaires? 

Depuis la nuit des temps, les humains ont prêté l’oreille à des devins qui prédisaient l’avenir en employant diverses méthodes divinatoires telles que la lecture des formes dans le sable, des reflets dans l’eau et des grains de maïs. De nos jours, bien sûr, nous analysons des données, pas des feuilles de thé, mais il n’empêche que le taux de succès de nos devins modernes, c’est-à-dire des économistes et des observateurs économiques, sont systématiquement… quelconques.  

L’une des études les plus complètes portant sur la performance des prévisionnistes économiques a été menée par le National Bureau of Economic Research (NBER). Elle s’est intéressée à plus de 70 organismes de prévision et à leurs prédictions depuis 1968 en matière d’inflation, de croissance réelle, de taux de chômage, de PIB nominal, des dépenses des consommateurs et de variations dans les stocks des entreprises.  

La conclusion? Les prévisions individuelles étaient inégales, quoiqu’à l’occasion d’une grande exactitude. Dans l’ensemble, la justesse des prévisions était meilleure tandis que la performance individuelle laissait à désirer.  

Dans une étude devenue célèbre, le psychologue américain Philip Tetlock, las des paroles en l’air des spécialistes, a choisi 284 « experts » du milieu économique, des universités et des laboratoires d’idées, et leur a demandé de faire 28 000 prévisions vérifiables.  

Vingt ans plus tard, il a vérifié leurs résultats et est arrivé à la conclusion qu’ils n’avaient pas fait mieux que « des chimpanzés jouant à lancer des fléchettes ». Lorsqu’il a fait part de leurs résultats aux experts en question, ceux-ci ont manipulé leurs réponses originales ou affirmé, au mépris des faits, qu’ils avaient raison. Plus le prévisionniste était renommé, plus il avait confiance en ses prévisions, et pires étaient ses résultats.   

Une autre étude s’est penchée sur 23 ans de données tirées du Consensus de janvier de Wall Street touchant à l’indice S&P500 de la fin décembre. Les estimations s’avéraient lamentables, surtout pour les années d’incertitude économique comme 2001, 2002, 2008 et 2022.  

Étant donné le caractère peu fiable des prévisions des experts, pourquoi leur prêtons-nous l’oreille? C’est peut-être que, comme « le hérisson qui sait une seule chose importante », les analystes qui font d’énormes et audacieuses déclarations captent l’intérêt. Ce sont eux qui se retrouvent dans les médias et qui accaparent l’attention du public. Un an plus tard, personne ne se souvient de ce qu’ils ont dit ni s’ils avaient raison. Aucune excuse n’est présentée.  

De plus, soyons honnêtes, nous, les humains, sommes plutôt paresseux. Si nous entendons la même affirmation assez souvent, et de plusieurs sources différentes, nous sommes portés à la considérer comme un fait avéré sans chercher plus loin. Nous agissons ainsi parce que cela demande moins d’énergie cérébrale d’accepter l’opinion générale que de mettre en branle le processus de traitement de l’information. Garder notre énergie est une aptitude que nous avons acquise au fil de l’évolution, mais tout se paie. Parfois, les raccourcis mentaux ont un prix inattendu. 

On appelle illusion de contrôle ce biais comportemental qui nous pousse à prendre pour argent comptant les opinions qui sont souvent répétées. Le tir de barrage incessant des faiseurs d’opinions, des pronostiqueurs et des commentateurs est une forme de surcharge informationnelle ou, diraient certains, de pollution informationnelle. Nous sommes occupés. Nous sommes fatigués. À force d’être sans cesse bombardés par trop d’informations, nous finissons par n’en plus pouvoir. Nous recourons alors à des raccourcis qui nous aident à passer à travers la journée.  

Il n’y a rien de mal à opter pour la rapidité et la facilité. Cependant, quand nous accordons trop d’importance à des prévisions qui ne sont guère plus que des estimations, des extrapolations ou des conjectures, et que cela nous porte à prendre des décisions fondées sur l’illusion de contrôle, cela pourrait nous faire du tort en tant qu’investisseurs.  

Comment peut-on se protéger du défilé annuel des experts?  Impossible d’échapper à toutes les informations, quoiqu’éteindre les notifications de temps à autre soit bon pour l’hygiène mentale. Voici trois choses que nous pouvons faire pour être moins sujets à l’illusion de contrôle : 

  1. Mieux comprendre nos sources d’information; 
  2. Veiller à ne pas lire ou à ne pas écouter les nouvelles quand nous sommes distraits ou faisons plusieurs choses en même temps;  
  3. Nous rappeler que la performance de la plupart des experts est très moyenne. 

Loin de nous l’idée de faire ombrage à qui que ce soit cependant. Le monde est une grosse machine compliquée faite de mille rouages toujours en mouvement. Il est donc très difficile de faire des prédictions fiables. Ma boule de cristal est brisée. Celle de tous les autres aussi. En janvier, régalez-vous si vous le voulez de la « comédie futuriste » des experts, mais de grâce, prenez leurs déclarations avec un grain de sel. 

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